Moi… Mylène

Une interview pour Le Parisien

A la veille de la sortie de la série documentaire l’Ultime Création, Mylène Farmer donne une interview au quotidien Le Parisien.

C’est masquée que Mylène a accordé une interview au journaliste Eric Bureau (Le Parisien) dans laquelle elle revient sur la série documentaire l’Ultime Création dont la sortie est prévue demain sur Amazon Prime.

Eric Bureau & Mylène Farmer / Le Parisien
Ce documentaire est à l’image de votre dernier spectacle : hors-norme. Pourquoi montrer l’envers du décor ?
Parce que c’était naturellement le bon moment pour moi. Je voulais fixer sur la pellicule tous les instants magiques partagés et offrir à celles et ceux qui me suivent depuis longtemps des instants plus intimes.

Vous vous y dévoilez comme rarement, notamment en voix off…
« Je m’abandonne parce que je n’ai plus peur d’être abandonnée. » C’est sans doute ma confession la plus intime dans ce documentaire. Je me suis suffisamment sentie en confiance avec Mathieu (NDLR : Spadaro, le réalisateur) pour accepter d’être suivie de si près.

Vous n’avez plus peur d’être abandonnée, mais par qui ? Une personne, votre public, les deux ?
Cela me renvoie à un cauchemar récurrent. J’arrive en scène et la salle est vide. La peur viscérale de l’abandon existe chez moi depuis mon enfance.

Qu’est-ce qui vous angoisse ?
La maladie. La mort des gens que j’aime. C’est l’abandon ultime. La souffrance animale…

Dans le film, vous dites avoir acquis une nouvelle forme de liberté…
Cette ultime désobéissance est avant tout une désobéissance à moi-même, une envie de lâcher prise qui est sans doute le fruit du temps qui passe inexorablement.

Vous êtes plus à l’aise avec votre image ?
Pas réellement, non… Mais une fois ma décision prise, je me devais d’être sincère. Me montrer souvent sans artifices. C’est une mise à nu nécessaire.

Cet échange
avec le public
est tellement
vitale. (...)
Idéalement
je serais
vétérinaire
et refuge

_ Mylène Farmer,
Le Parisien (24 sept. 2020)

Vous vouliez rétablir la vérité ? C’est juste le fait d’être « plus près » qui révèle ce que je suis. Je suis quelqu’un qui aime rire, qui n’aime pas pleurer à moins qu’il ne s’agisse d’émotions fortes.

Vous parlez plusieurs fois de l’amour donné et reçu avec votre public, qui donne un sens à votre vie. Que feriez-vous si vous n’étiez pas artiste ? C’est difficile de répondre. Cet échange avec le public est tellement vital. Dans une autre vie, je pense que mon amour des animaux l’emporterait. Idéalement je serais à la fois vétérinaire et refuge.

La chanson inédite du générique, « J’ai l’âme dans l’eau », est une reprise d’un titre américain peu connu, « Ulay Oh ». Comment l’avez vous découvert ? Grâce à une vidéo qui m’a bouleversée (elle prend son smartphone et la montre). Elle est tournée au MoMA, à New York. Ici, c’est Marina Abramovic, une artiste que j’aime beaucoup, et l’homme qui s’avance vers elle, c’est Ulay, le photographe avec qui elle a travaillé et vécu une grande histoire d’amour. C’est un instant suspendu, douloureux et magnifique d’émotion.

La danse occupe une grande place dans vos spectacles et dans le film. Savez-vous d’où vient votre fascination ? Oui je le sais (elle sourit)… J’ai eu le sentiment jusque tard de vivre plutôt dans un corps de garçon manqué. La danse me transporte parce qu’elle m’a enseigné quelque chose de fondamental : le corps peut remplacer les mots avec la même force, la même émotion.

J'ai fait
un stock
de boîtes
hermétiques
(…)
car j'ai accueilli
une famille
de souris
voraces.

_ Mylène Farmer,
Le Parisien (24 sept. 2020)

« La folie me séduit plus que la raison », dites-vous. En ce moment, la raison et les masques régissent nos vies. En souffrez-vous ?
Cette période est vraiment effrayante et douloureuse pour tant de personnes… Je pense souvent à ceux que l’épidémie a encore plus isolés comme les malades, les personnes âgées mais aussi à ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’être en première ligne et qui sont dangereusement exposés. Pour ce qui me concerne, la disparition et moi marchons souvent d’un même pas. Et je ne perçois pas le masque réellement comme une contrainte, je peux disparaître dessous (elle sourit).

Comment avez-vous vécu le confinement ? J’ai fait un stock de boîtes hermétiques de rangement pour la nourriture car j’ai accueilli une famille de souris voraces (rires). Je me suis occupée de mes animaux… J’ai patienté, comme tout le monde. Bien entendu, je suis consciente que les conditions de mon confinement m’ont permis de trouver le temps moins long que d’autres. L’atteinte à la liberté n’en reste pas moins une expérience douloureuse même si elle est nécessaire pour des raisons sanitaires.

D’où vient cette « timidité existentielle » évoquée dans le documentaire ? Je ne sais pas. Quelqu’un de proche dit souvent de moi que je suis le loup, celui qui vit au fond des bois, et quand l’heure de monter sur scène arrive, je deviens loup-garou. Mais je ne suis pas consciente de ce double mouvement.

Vous êtres présente à tous les instants de la création et des répétitions. Avez-vous toujours été aussi engagée sur un show ? Oui, toujours ! C’est la moindre des choses. Je suis perfectionniste et je calme mes angoisses dans le travail. Je ne prendrais pas autant de plaisir sur scène si je ne m’impliquais pas autant dans la création, les répétitions. Cela me permet d’être libérée au moment de monter sur scène.

Vous êtes le boss. Est-il plus difficile de s’imposer quand on est une femme ? Je ne crois pas, non ! (Rires.) Je me sens responsable devant mon public et, à ce titre, je fais les choix que j’ai envie de défendre devant lui. Les équipes avec qui je travaille le savent et le comprennent. Ils acceptent naturellement mes choix. Le fait que je sois une femme n’y change rien.

On vous voit faire du sport intensivement pour tenir le coup sur scène. Est-ce que vous en faites en temps normal ? Moins assidûment, mais je retrouve souvent Hervé (NDLR : Lewis, son coach) et nous jouons au ping-pong où nous nous entraînons… Je marche aussi beaucoup en forêt avec mes chiens. Chaque jour.

Vous rendez hommage à votre complice de création Jean-Paul Gaultier. Pourquoi vous considérez-vous comme deux enfants terribles ? Nous avons en commun l’envie de désobéir. J’aime sa déraison créative, son enthousiasme et son soin du détail. Quand nous préparons la scène, nous échangeons beaucoup sur la création des costumes. Je me sens très proche de lui.

Et de Sting, qui vous a rejoint sur scène à Paris ? C’est un immense auteur et compositeur. Toujours curieux, toujours envie d’être là où on ne l’attend pas. L’homme est magnifique.

Pensez-vous que la nouvelle génération est désenchantée ? Oui, je le crains. Je pense qu’aujourd’hui c’est un désenchantement bien plus réel et plus douloureux. J’ai l’impression que plus les années passent, plus ce monde ne nous offre plus l’espoir possible d’un réenchantement.

En chantant « Sans contrefaçon, je suis un garçon » et en faisant un baiser à une danseuse en 1996 à la télévision, vous avez participé à ce qu’une nouvelle génération d’artistes se sente plus libre avec la sexualité, le genre. Est-ce important pour vous ? C’était avant tout un acte spontané. Une provocation. Je suis heureuse si cela a pu contribuer à déplacer les lignes du politiquement correct mais je ne suis pas certaine qu’un grand vent de liberté souffle sur notre époque où tout est exposé, scruté, commenté parfois sans filtre ou respect de la personne… La transparence est un diktat. Vivre librement sa sexualité ne devrait malheureusement plus être un sujet.

Pourriez-vous encore sortir une chanson comme « Libertine » aujourd’hui ? Je ne sais pas… Mais il serait intéressant de faire la liste de toutes les œuvres qui n’auraient jamais pu voir le jour si elles avaient été conçues aujourd’hui. Le monde a terriblement changé.

Vous avez collaboré avec le DJ français Feder sur votre dernier album. Quels jeunes artistes vous intéressent ? J’aime beaucoup l’univers de Billie Eilish. Son timbre de voix si particulier.

En sortant de scène, vous dites que votre première image est le visage de votre père, de votre mère et de votre frère qui vous manquent. Pourquoi parlez-vous peu d’eux ? Ils sont présents malgré leur absence… Mais ils restent ma page secrète.

On vous voit dans votre loge utiliser une machine et avaler de la vapeur d’eau. C’est pour votre voix ? Ce sont des aérosols. On inhale et cela agit de façon directe sur les bronches et les voies aériennes supérieures.

Vous redoutez toujours le vide de l’après-concert…
Comment passer d’une telle communion au silence quasi monacal ? Le vide abyssal de l’après-concert renvoie à son propre néant. Il faut du temps pour recommencer à simplement exister, reprendre le chemin du quotidien.

Vous levez une partie du voile sur vous. Ce n’est que le début ?
Non, je ne le referai pas. C’est une pièce en un seul acte. Mais Je continuerai à écrire, bien sûr.

Vous intitulez ce documentaire « l’Ultime Création ». Ce spectacle pourrait-il être votre dernière création ?
Dieu seul le sait (rires).

L’ULTIME CRÉATION,
Sortie le 25 septembre 2020

Propos recueillis par Eric Bureau pour LeParisien.fr

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